Les capacités du groupe
Wagner, force centrale dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine, se sont
perfectionnées en Syrie, en Libye et ailleurs en Afrique.
La rébellion du groupe Wagner
contre l’État russe pourrait avoir des répercussions majeures non seulement sur
les opérations de l’organisation au Moyen-Orient, mais aussi sur la capacité de
Moscou à remplacer les réseaux financiers et militaires entretenus par le
groupe paramilitaire dans la région.
L’organisation de mercenaires, qui a tenté une récente rébellion armée à l’encontre du Kremlin, a tissé au cours de la dernière décennie un réseau tentaculaire de relations militaires, commerciales et politiques, englobant la Libye, la Syrie, le Soudan et les Émirats arabes unis.
Les troupes de Wagner combattant en Ukraine, représentaient aussi jusqu’à récemment, un atout crucial de soutien à l’armée russe sur le champ de bataille. Cette force autofinancée a récemment permis à la Russie sa première victoire sur le terrain en reprenant la ville stratégique de Bakhmout.
Mais les capacités considérables tactiques et matérielles du groupe n’auraient peut-être pas été aussi bien rodées sans ses expériences multiples au Moyen-Orient et en Afrique.
Si Les mercenaires de Wagner se sont en partie formés en combattant aux côtés des troupes russes sur les champs de bataille de Syrie, c’est aussi et en toute autonomie en Libye que ces effectifs ont acquis une très large expérience. Également très impliqués dans les conflits actuels au Soudan, au Mali et en République centrafricaine (RCA), la variété des terrains sur lesquels ces hommes sont investis, leur confère une adaptabilité inégalée et incontestable tant sur le plan matériel qu’opérationnel.
« Wagner a véritablement commencé ses opérations en Afrique en Libye et l’a fait de manière très efficace. C’était [la Libye] une tête de pont que les Émirats arabes unis, à l’époque, ont rendue accessible et à partir de laquelle Wagner a pu vraiment se développer », explique Andreas Krieg, professeur agrégé d’études sur la sécurité au King’s College de Londres.
Si le siège social de la société Wagner n’est pas officiellement déclaré en Russie, puisque l’existence de sociétés militaires privées n’y est pas autorisée, le groupe est constitué sur le modèle oligarque, d’une constellation de sociétés écrans à l’extérieur du pays, qui sont toutes utilisées pour autofinancer ses opérations et ainsi lui permettre de se propulser au pouvoir. Sa filiale tête de pont stratégique en Libye a permis notamment au groupe de nouer des liens étroits d’affaires avec Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom de Hemetti, ce dernier dirigeant les Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR).
Les FSR, une milice à l’instar de Wagner, sont particulièrement impliquées dans la rébellion contre l’État soudanais.
Les Émirats, un paradis bancaire pour Wagner
Wagner, sous le contrôle
d’Evgueni Prigojine et jusqu’à récemment un proche allié du président russe
Vladimir Poutine, n’a évidemment pas échappé aux sanctions des États-Unis et
d’autres pays eu égard non seulement à sa nationalité, mais aussi pour son
réseau d’investissements réalisés dans des zones comme le Soudan, le Mali et la
RCA.
Des milliards de dollars d’or russes auraient ainsi été acheminés du Soudan vers des fonds et banques émiraties, dont une grande partie serait largement considérée comme facilitée par les sociétés de Wagner.
Washington n’hésitant pas à déclarer ouvertement que certaines des concessions d’extraction d’or exploitées par Wagner avaient été en partie réorientées vers la réserve d’or de Moscou, à hauteur de 130 milliards de dollars, aidant l’administration de Poutine à contourner l’effet des sanctions économiques internationales infligées pendant la guerre en Ukraine.
« Le Kremlin s’est appuyé sur les Émirats arabes unis pour faciliter de nombreuses opérations de Wagner à travers l’Afrique en 2018, car à l’époque, il s’agissait d’un outil du pouvoir russe, en partie en matière de soft power mais aussi de hard power », analyse encore Andreas Krieg.
L’an passé, les États-Unis avaient déjà accusé les mercenaires de Wagner d’exploiter de nombreuses ressources naturelles en RCA, au Mali, au Soudan et à d’autres endroits sur le continent, sans pouvoir le démontrer réellement. Ce qu’ils n’auraient pas pu faire sans les Émirats arabes unis, selon le Pentagone.
« Prigojine en particulier avait de bonnes relations avec les Émirats arabes unis, qui sont un partenaire important pour la Russie, car il existe de nombreux réseaux personnels privés entre les élites d’Abou Dabi et du Kremlin. La question à plusieurs milliards de dollars est maintenant de savoir dans quelle mesure Poutine fera pression sur le président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed (MBZ), pour qu’il « réprime » ces réseaux », estime le chercheur. « Wagner ne serait pas en mesure d’opérer s’il n’avait plus accès aux infrastructures, à la logistique financière et aux infrastructures de commerce de l’or que les EAU ont fournies », conclut Andreas Krieg.
Alors que le lien entre Wagner, le Soudan et les Émirats arabes unis a largement profité à toutes les parties dans le transfert de sommes gigantesques, les compétences militaires du groupe paramilitaire russe ont également été très sollicitées dans d’autres zones de conflit.
Les intérêts stratégiques de la Russie en Libye
Depuis 2019, les mercenaires
de Wagner ont joué un rôle capital dans le soutien à Khalifa Haftar, le
commandant militaire renégat de l’est de la Libye, à maintenir le contrôle des
régions du sud et de l’est du pays.
« Sans un autre parapluie sécuritaire étranger, le retrait de Wagner constituerait une menace pour l’influence de Haftar dans l’est et le sud de la Libye », analyse Ferhat Polat, chercheur spécialiste des affaires libyennes à l’université d’Exeter.
A grand renfort du soutien de Wagner, le conflit libyen a pris l’apparence d’une guerre froide. L’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar et le gouvernement de Tripoli, reconnu internationalement, observent avec une attention certaine les événements en Russie et les éventuelles conséquences sur l’équilibre des pouvoirs dans le pays.
« Les mercenaires de Wagner ont fourni l’expertise et les ressources militaires nécessaires qui ne sont pas disponibles au sein de l’ANL », poursuit Ferhat Polat. « La présence accrue du Kremlin leur a donné une plus grande influence sur les puissances occidentales. Le retrait des combattants de Wagner pourrait avoir un impact sur les intérêts géostratégiques de la Russie. Mais on ne sait toujours pas si la Russie retirera réellement ses mercenaires de Libye ».
Entre-temps, des informations non confirmées indiquent que l’armée russe a en fait pris pour cible Wagner dans le nord de la Syrie, un autre théâtre sur lequel le groupe paramilitaire est présent depuis longtemps.
Wagner sur le terrain
syrien
La Syrie a été le terrain de
l’une des premières incursions de Wagner hors d’Europe. Le groupe y a déployé
des mercenaires pour combattre aux côtés des forces de Bachar al-Assad en 2015,
au moment même où Poutine lançait une campagne aérienne en soutien à Damas.
Il est périlleux de tirer des « conclusions audacieuses » pour l’heure et néanmoins le fil des événements présente un « énorme potentiel d’impact sur la guerre en Ukraine ainsi que sur la politique étrangère de la Russie au Moyen-Orient dans son ensemble », estime Giorgio Cafiero, PDG de Gulf State Analytics, un cabinet de conseil en risques géopolitiques basé à Washington. « Il est clair que ce qui se passe en Russie sape l’unité russe, et il est possible que les acteurs du Moyen-Orient regardent la Russie différemment ».
La Syrie est l’un des rares terrains de conflit officiellement documentés où les combats ont directement impliqué des miliciens de Wagner. En 2018, l’armée américaine a éliminé entre 200 et 300 combattants pro-Assad, dont beaucoup étaient supposés appartenir à Wagner, après leur attaque d’un avant-poste militaire américain dans l’est de la Syrie.
La Syrie est une région pivot d’affichage de la puissance du Kremlin rendue possible grâce a un accès stratégique à la Méditerranée orientale, notamment par l’implantation de sa base navale de Tartous.
En parallèle et sur le versant
économique non négligeable, un certain nombre d’entreprises affiliées à Wagner
ont obtenu plusieurs concessions et participations dans des gisements de
pétrole et de gaz sur un territoire autrefois contrôlé par le groupe État
islamique.
« Peu importe comment la dernière crise se déroule, la projection de puissance de la Russie est vouée à diminuer dans la région MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord] », assure Yonatan Touval, analyste à l’Institut israélien des politiques étrangères régionales (MITVIM).
Ukraine ou Moyen-Orient, le
choix Wagner
Alors que la guerre en Ukraine
a obligé la Russie à réduire sa présence militaire en Syrie, Wagner a également
dû se repositionner en termes de choix. « Le groupe Wagner a également du
mal à maintenir ses opérations sur plusieurs fronts, avec le défi
supplémentaire posé par la forte pression exercée par les États-Unis sur ses
alliés au Moyen-Orient pour expulser ses mercenaires du Soudan et de la Libye
», précise Yonatan Touval. « La question clé est de savoir si ces
développements créeront un vide de pouvoir qui permettra à d’autres acteurs
d’entrer, le risque étant une déstabilisation rapide dans des régions telles
que la Syrie et la Libye ».
L’affaiblissement de la main russe dans la région se fait déjà sentir. En 2022 déjà, le Kremlin avait dû retarder la livraison d’armes du Moyen-Orient en raison des pénuries d’approvisionnement résultant de la guerre en Ukraine.
« Alors que la présence militaire de la Russie en Syrie signifie que les activités de Wagner peuvent être rapidement stoppées en Libye et dans d’autres pays africains, cela va être « plus difficile » si Moscou décide de liquider le groupe », anticipe depuis la Russie, Kirill Semenov, analyste du think tank de recherches Russian International Affairs Council.
« Dans ces régions, il n’y a pas de troupes russes et les régimes locaux travaillent directement avec Wagner et non avec les structures officielles russes. Si la rébellion est réprimée, et j’espère que cela se produira bientôt, les branches de Wagner en Afrique pourraient se transformer en structures mercenaires totalement incontrôlables qui établiront elles-mêmes des liens avec les gouvernements locaux sans égard pour Moscou ». Conclut-il.
Maître de conférences en Géopolitique & Sciences de l'information
Enseignant-chercheur en Histoire contemporaine & des médias
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